Retour sur les quelques jours que j’attendais depuis bien longtemps. Persuadé que je n’aurais plus de réseau au bout de 2 jours pour envoyer des photos, je ne m’étais occupé que de m’équiper en batteries pour la caméra et l’appareil photo… erreur: il y avait un réseau de communication jusqu’à 4700m! Dommage pour le suivi en live!
J1:
Arrivée à Arusha après un périple en train + avion de 27 heures!
A l’Oasis Lodge de Arusha, je fais la connaissance d’un groupe de 10 Français en route pour le même objectif, par la même voie:
Angélique, Bernadette, Natali, Pascale, Benoit, Bertrand, Christophe, Clément, Guillaume, José.
Nous marcherons ensemble; nos différentes expériences seront autant de petits plus pour atteindre le sommet. Dernière nuit confortable…
J2:
Les sacs sont prêts; tout est chargé sur le toit du bus, et nous filons à Machamé Gate, 1800m.
Sur place, c’est une vraie fourmilière humaine : un nombre impressionnant de marcheurs sont là, prêts à dévorer les sentiers. Japonais, Américains, Italiens, Russes… et nous! Un vrai salon de l’équipement de montagne! Qui a les plus belles chaussures, le meilleur sac, le plus gros appareil photo… Une collision impressionnante entre notre matériel ultra technique, ultra cher, et la misère du monde…
Un peu de paperasse pour se faire enregistrer à l’entrée du Kilimandjaro National Parc; les porteurs, Kenyans ou Tanzaniens, sont en attente d’un engagement par une expédition. A voir le nombre de prétendants, on peut supposer que c’est une belle aubaine financière pour les populations locales, malgré la difficulté et le danger que cela représente pour eux.
Bryson, le chef d’expédition se charge de coordonner l’équipe de porteurs et de répartir les charges. Les uns après les autres ils passeront faire peser leur bardage: Pas plus de 15kg, auxquels s’ajouteront leurs affaires personnelles.
Après 5 heures à travers une forêt humide, nous atteignons Machamé Hut (3000m); végétation luxuriante, lichens, orchidées, lianes, fougères géantes et quelques singes. Le camp est planté en forêt. Nous n’avons pas encore vu le sommet. La brume tombe, tout comme la pluie.
J3:
6h45, le soleil est là pour accompagner notre marche vers Shira Camp.
Comme chaque matin, refaire le sac, remplir les gourdes, traiter l’eau, serrer les lacets.
Nous quittons la forêt de la pluie pour traverser des landes d’altitude.
6 heures de marche tranquille pour arriver sur le plateau de Shira en milieu d’après midi (3800m) face au Mont Meru, 2è sommet du pays à 4565m appelé aussi Socialist Peak!
Nous découvrons l’ampleur de l’entreprise commerciale à laquelle nous participons, ce joyeux bordel que nous cautionnons: Des dizaines de tentes de toutes les couleurs, du bruit, des chants, des odeurs de soupe. Toujours pas de sommet en vue. A 16h, une brume épaisse nous enveloppe; la balade d’acclimatation envisagée se transforme en sieste. Tout le monde est en pleine forme (surtout nos voisins Italiens…)
La pluie reprend et c’est en courant que nous rejoignons nos duvets à 20h30!
J4:
1 degré dans la tente! Nous découvrons enfin le sommet à atteindre. Magnifique lever de soleil qui réchauffe tout le monde.
Cette journée fera office de « juge de paix » : montée à 4700m pour redescendre bivouaquer à Barranco Hut (3900m).
Chacun va enfin savoir ce qu’il vaut en altitude. Personne ne perd de vue les statistiques de réussites de l’ascension… Si l’on s’y réfère, 3 à 4 d’entre nous ne verrons pas les neiges…Tout doucement nous traversons un désert d’altitude pour rejoindre le col de Lawa Tower. L’altitude se fait sentir et je n’ose pas accélérer le pas, de peur de voir apparaitre les symptômes tant redoutés… Une soupe rapidement avalée, et c’est dans une magnifique vallée que nous rejoignons Barranco Camp. Séneçons, lobélies géantes.
Sous le sommet, le soleil nous accompagne. Entre brume tenace et éclaircies, nous cherchons notre hypothétique itinéraire du lendemain matin, dans une face qui nous apparait bien raide…
Toujours en pleine forme, je suis en pleine confiance.
J5:
8h00 : Nous attaquons le « mur de Barranco »; bien nommé, c’est un sentier étroit et escarpé qui serpente dans une falaise qui surplombe notre camp. Alors que nous utilisons les mains pour nous hisser entre les rochers, nos porteurs réalisent un numéro d’équilibriste, leurs charges sur la tête, imperturbables. Impossible de se perdre, nous sommes en file indienne pour rejoindre les coulées de lave de la vallée de Karanga; J’imagine alors le danger que cela représenterait sous la pluie.
Dernier point d’eau pour les 36 heures à venir, tout le monde fait le plein.
Une longue moraine nous conduit au bivouac de Barafu; en Swahili, cela signifie neige.
C’est au milieu des rochers que nous éparpillons nos tentes. Cette épaule de l’arrête Stella est très ventée; en plein soleil, la vue est grandiose: Le Mawenzi d’un coté, le Kibo de l’autre, avec ses glaciers qui descendent.
Toujours en forme, mon capital confiance est énorme !
D’un optimisme très très naïf…, je griffonne ces quelques mots dans mon carnet de voyage :
A 19h15, après un repas léger, je me glisse dans mon duvet; réveil prévu à 23h15.
J6:
A minuit, c’est le départ; de nombreux groupes sont déjà partis. Quelle ambiance: les lampes frontales serpentent en direction de Stella Point par un chemin invisible, mais qui me parait raide. Nous sommes nombreux à attaquer la voie, mais, cette fois ci, vraiment seuls; chacun se renferme sur soi. Je ne suis là que pour moi, rien à penser d’autre qu’à mes pas, sur ce sentier de cailloux et de cendres.
Comment expliquer que cette foire multicolore me fait du bien. Le nez dans les chaussures, un pied devant l’autre, je progresse dans la seule lueur de ma lampe. Il fait froid, des rafales de vent me secouent; l’eau des gourdes me gèle la langue; ceux qui ont opté pour les gourdes à pipette le regrettent: tout est gelé, l’eau ne passe plus.
Je suis au ralenti; je vais bien, mais je n’avance pas! Nous croisons les premiers marcheurs à abandonner. Et c’est à chaque fois la même chose: je baisse un peu plus la tête, et ne pense qu’à moi. Rien ne saurait interrompre cette montée.
Le pire de l’Homme ressort: un égoïsme forcené; je suis content d’être seul; rien ni personne ne me cause un quelconque souci; les autres n’existent pas. Ce n’est pas glorieux mais j’attendrai demain pour avoir des considérations philosophiques, au bar…
A 6h00 le soleil se lève. C’est grandiose. Tout est dégagé, la vue n’a pas de limites. Cela fait un bien fou, une sorte de naissance ! Je suis sur la lune. Gavé d’envie, j’avance jusqu’à Stella Point (5700m) La vue est grandiose sur le cratère; premier panneau de félicitations! Encore une heure sur cette arrête pour rejoindre le sommet.
Il est 8h00. Et c’est sûr, c’est là: Congratulations! 5895m
Les marcheurs plus ou moins en forme se bousculent sous le panneau. Les glaciers sont là, la vue est dégagée de tous les cotés.
Photos, larmichette. La joie viendra plus tard. C’est grandiose.
4 heures de descente pour rejoindre ma tente et dormir 2 petite heures ;
Un petit repas, et c’est encore 4 heures de descente jusqu’à Mweka camp (3600m), en foret; Camp de luxe: les rangers qui enregistrent notre passage vendent de la bière !
16 heures de marche, ça laisse des traces… et pas que sur le matériel !
Le petit plus: j’apprends au bivouac que Angélique, Bernadette, Natali, Pascale, Benoit, Bertrand, Christophe, Clément, Guillaume, José sont tous allés au sommet! Pas ensemble, pas dans le même état, mais c’est fait!
Aux oubliettes les statistiques d’échec !
Tous nos porteurs sont rassemblés; un dernier repas avant une bien belle nuit.
J7:
4 heures plus tard, c’est le retour à la civilisation. Le sommet se montre une dernière fois à travers les arbres.
Je suis heureux, le plus chanceux de la terre.
Je suis tout neuf : J’ai lavé ma tête à l’effort.
Cela doit bien valoir quelques séances chez le psy…